Ce ne sont pas tellement les techniques de la gravure au burin, car il suffit pour cela d’une quinzaine de minutes pour comprendre, mais plutôt l’esprit de la gravure que j’ai appris auprès de Jean-Marie Granier dans les années 80 aux Beaux-Arts de Paris.
C’est l’attitude et l’action du graveur, ce plasticien qui a choisi sa matière comme il a choisi son corps pour expérimenter cette vie. Car les procédés sont âgés comme le Moyen Age ; on pourrait d’ailleurs presque dire qu’ils sont sans âge, comme permanents dans le temps.
S’il y a une tension, un différent ou une insatisfaction, ils ne viennent pas de l’image mais trouvent leur origine dans le graveur lui-même. L’étudiant a un effort intérieur à faire. Et Jean-Marie Granier a souvent insisté sur cette exigence vis-à-vis de soi-même.
Un de ses chevaux de bataille était la combinatoire que doit opérer le graveur entre les contraires. La gravure offre ce privilège dénudé et visible à tous : les éléments primordiaux du noir et du blanc. Clarifications et précisions, détermination et organisation sont les vertus du burin, toutes deviennent celles de l’apprenti.
Ainsi, J.M. Granier a fréquemment traduit son exigence par sa loyauté à la gravure digne. Je l’ai souvent entendu grogner contre toute ces gravures « faciles » et grand public. C’était alors une provocation contre les sirènes du marché, pourtant frileux, et un garde-fou pour ceux d’entre nous qui n’étaient pas encore structurés dans leurs nécessités.
Il y eut des moments magiques, à l’atelier, lorsqu’il associait notre recherche à celle d’un « Graal ». Il mettait parfois le doigt sur quelque chose d’important dans le subconscient de l’étudiant et qu’il fallait intégrer. Nous avions la possibilité mystérieuse d’entrer en gravure comme on entre dans un lieu sacré, dans un état amoureux ou dans une confrérie invisible et intemporelle avec des personnages aussi prestigieux que Dürer ou Rembrandt, mais aussi tous ces inconnus, anonymes qui font acte de graver – même sur les arbres !
Lui aussi était en route, et il l’est encore, dans sa propre quête. Au quai Conti, son activité créatrice était vivante et parallèle à son enseignement. Cela témoigne de son tempérament vif et actif vis-à-vis du « métier » et du « marché » mais aussi de sa gentillesse pleine de soleil cévenol à l’égard de ses visiteurs dans sa résidence de La Borrie.
Il était convainquant parce qu’il parlait de sa gravure-vision, et aussi parce que la gravure parlait à travers lui. On ne pouvait pas l’imiter car il exigeait la fidélité à soi-même et cela nous permettait de voir ses gravures comme de la musique, fidèles à sa vie. Et l’œuvre est importante… Plus de mille gravures, sans compter les dessins.
« Graver »… Il s’agit bien d’un verbe de la même famille de verbes que vivre, respirer, aimer… Le travail doit donc se faire aussi à l’extérieur de la plaque, dans la rue, chez soi, avec les autres, la nature, les éléments et les facettes de la vie.
Enfin, ma fidélité se justifie par ma reconnaissance pour son action. Il a su envoyer les étudiants vers leur propre vérité vis-à-vis de ce métier que nous devons défendre. Et je me réjouis encore, après les années, de la convivialité de sa compagnie.
Longue vie, Monsieur le Maître de Gravure.
Jean-Pierre Tingaud, janvier 1998
C’est l’attitude et l’action du graveur, ce plasticien qui a choisi sa matière comme il a choisi son corps pour expérimenter cette vie. Car les procédés sont âgés comme le Moyen Age ; on pourrait d’ailleurs presque dire qu’ils sont sans âge, comme permanents dans le temps.
S’il y a une tension, un différent ou une insatisfaction, ils ne viennent pas de l’image mais trouvent leur origine dans le graveur lui-même. L’étudiant a un effort intérieur à faire. Et Jean-Marie Granier a souvent insisté sur cette exigence vis-à-vis de soi-même.
Un de ses chevaux de bataille était la combinatoire que doit opérer le graveur entre les contraires. La gravure offre ce privilège dénudé et visible à tous : les éléments primordiaux du noir et du blanc. Clarifications et précisions, détermination et organisation sont les vertus du burin, toutes deviennent celles de l’apprenti.
Ainsi, J.M. Granier a fréquemment traduit son exigence par sa loyauté à la gravure digne. Je l’ai souvent entendu grogner contre toute ces gravures « faciles » et grand public. C’était alors une provocation contre les sirènes du marché, pourtant frileux, et un garde-fou pour ceux d’entre nous qui n’étaient pas encore structurés dans leurs nécessités.
Il y eut des moments magiques, à l’atelier, lorsqu’il associait notre recherche à celle d’un « Graal ». Il mettait parfois le doigt sur quelque chose d’important dans le subconscient de l’étudiant et qu’il fallait intégrer. Nous avions la possibilité mystérieuse d’entrer en gravure comme on entre dans un lieu sacré, dans un état amoureux ou dans une confrérie invisible et intemporelle avec des personnages aussi prestigieux que Dürer ou Rembrandt, mais aussi tous ces inconnus, anonymes qui font acte de graver – même sur les arbres !
Lui aussi était en route, et il l’est encore, dans sa propre quête. Au quai Conti, son activité créatrice était vivante et parallèle à son enseignement. Cela témoigne de son tempérament vif et actif vis-à-vis du « métier » et du « marché » mais aussi de sa gentillesse pleine de soleil cévenol à l’égard de ses visiteurs dans sa résidence de La Borrie.
Il était convainquant parce qu’il parlait de sa gravure-vision, et aussi parce que la gravure parlait à travers lui. On ne pouvait pas l’imiter car il exigeait la fidélité à soi-même et cela nous permettait de voir ses gravures comme de la musique, fidèles à sa vie. Et l’œuvre est importante… Plus de mille gravures, sans compter les dessins.
« Graver »… Il s’agit bien d’un verbe de la même famille de verbes que vivre, respirer, aimer… Le travail doit donc se faire aussi à l’extérieur de la plaque, dans la rue, chez soi, avec les autres, la nature, les éléments et les facettes de la vie.
Enfin, ma fidélité se justifie par ma reconnaissance pour son action. Il a su envoyer les étudiants vers leur propre vérité vis-à-vis de ce métier que nous devons défendre. Et je me réjouis encore, après les années, de la convivialité de sa compagnie.
Longue vie, Monsieur le Maître de Gravure.
Jean-Pierre Tingaud, janvier 1998